Exposition en solo au Beffroi de l'église de Saint-Germain-L'Auxerrois


Le Zyklon B est un gaz incolore, inodore et plus léger que l’air qui s’attaque à l’une de nos fonctions les plus essentielles : respirer. C’est aussi de suffocation dont nous parle l’oeuvre de Pauline Hersart de La Villemarqué, où la respiration, au sens vital, ne serait plus seulement à prendre au pied de la lettre, mais comme une oscillation permanente et inaliénable entre mémoire et oubli. Dans son installation au beffroi de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, l’artiste expose des fragments de vie : sa vie présente, le périple d’un membre de sa famille ayant échappé au génocide nazi. Ces instantanés sont représentés sous forme de dessins et de sculptures : le dessin du corps tronqué de l’artiste (ses mains), un corps évoquant le principe de pérennité et d’enfance (son neveu), celui évoquant la figure maternelle autant que la mort (les Urnes), enfin, le foudroiement d’un charnier, où, à l’intimité des rapports familiaux, se substitue l’abstraction et l’abnégation totale d’êtres humains. La disposition centrale de la sculpture (Zyklon B) informe, tout en la laissant libre, un certain sens de lecture : de l’idée à la réalisation de l’oeuvre, à l’idée que chacun réalise un récit tout en s’inscrivant dans une continuité. L’usage de la glaise éclaire à ce sujet : matière primordiale dont serait tirée la chair d’Eve et d’Adam, elle rend toute nouvelle forme possible, autant que celle-ci se fige lorsqu’on la jette dans les flammes. Cette analogie corps-matière-âme suscite un rapprochement avec les camps d’extermination, dont les récits traversent les générations et conservent la mémoire des fours crématoires. Le corps défendable (enfant, argile) n’est isolé du matériau qui le menace (eau) que par le subterfuge d’une anthithèse dont le métal (bronze) invite à présager le pire. La dichotomie, entre ce support et membrane dérisoires, se référant à la société de loisirs, et la gravité du sujet traité, illustre les préoccupations de l’artiste : “comment créer, comment vivre lorsque l’Histoire nous ramène incessamment au pire?”. L’artiste souligne ainsi l’ambiguïté du geste créatif, la projection d’une pensée permettant à la fois son oubli et son souvenir, comme un geste essentiel : une inspiration et une expiration autant nécessaires que complémentaires, une réserve d’oxygène à l’origine du mouvement. Cette question trouve écho à travers divers éléments de l’installation : bateau-gonflable, balons d’anniversaire, autant de garde-respirer, représentent symboliquement l’absence de zyklon B, agent de mort de l’Holocauste. L’eau, en filigrane, infiltre, le travail des Urnes (inspiration des châteaux d’eaux des Becher, célèbres photographes allemands). Elle est symbole de vie autant que symbole funeste, une source ambivalente qui pourrait s’associer, soit au liquide amniotique, soit à son contraire (urne), un materieau brut dont l’effet, positif ou dévastateur, comme l’inconscient, tient à sa capacité de rétention. Le feu immortalise autant qu’il neutralise la matière. Le métal protège aussi paradoxalement qu’il menace. Tour à tour figuratifs et abstraits, les éléments de l’exposition revêtent ainsi des imaginaires, une polyphonie de sens, à travers laquelle Pauline Hersart de La Villemarqué nous laisse librement naviguer. Cette liberté, bien plus qu’une prise de parole de l’artiste, est peut être aussi le catalyseur qui nous relie d’une histoire personnelle à une autre, et, tout en nous ouvrant voie à l’introspection, nous donne le sentiment d’appartenir à un récit partagé dont nous portons l’écriture.

L’approche de Pauline Hersart de La Villemarqué a été nourrie par un apprentissage auto-didacte, au contact de maîtres artisans en Toscane, en Italie, où elle séjourne et travaille régulièrement. Sculpteurs de marbre et fondeurs de Pietrasanta, maître de la terre cuite de Grassina sont autant de collaborateurs qui ont enrichi sa production et façonné son regard, marqué par l’histoire de la région et de ses chefs-d’oeu-


 

vres. Comme dans sa mythologie personnelle exprimée dans son travail, Pauline Hersart se positionne, encore et notamment dans sa pratique d’atelier, dans une continuité temporelle aux références arborescentes.

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Parmis les nombreux rapprochements possibles, l’un présente un intérêt particulier. Dans la Divine Comédie de Dante, l’auteur florentin expose son itinéraire de l’Enfer au Purgatoire, au Paradis. Il existe un parallèle dans le travail de Pauline, en tant qu’introspection vers ce qu’il y a de plus sombre, de plus incertain chez soi et chez l’Homme, avec ce jeu de clair-obscur, une possibilité de lumière et de rédemption. Le poète, dans cet ouvrage, y décrit un monde labyrinthique et souterrain, entièrement voué à la terre, dont la matière abrite, autant qu’elle égare et châtie, ses occupants. Ses corps brûlants de poix ne sont pas étrangers au Charniers de l’exposition, ses corps démantelés, la main esseulée de l’artiste ou ce visage enfantin. Le monde hallucinant de Hyeronimus Bosch, celui du jugement dernier. Comment s’épargner un lien avec le monde réel, dont les atrocités si récentes n’ont rien à envier à ces visions apocalyptiques - Des atrocités, qui, aujourd’hui encore, continuent d’avoir lieu. Plonger dans cette “Divine Comédie”, ce chaos, exprime une empathie. Ce qui est arrivé peut encore arriver. Nous sommes les témoins mais aussi les acteurs des récits que nous voulons écrire, en tant qu’individus, en tant que collectivité. Pauline Hersart de La Villemarqué nous le rappelle dans le contexte du Béffroi. Lieu religieux sécularisé ayant à son centre la sculpture d’un enfant, son auteure évoque la cartographie dantienne, dont le coeur est le siège du Mal Absolu, et les orages qui planent sur notre futur et sur ceux que nous aimons.

Charles Garcin, conseiller en art contemporain